Auteur, comédien, spectateur, critique ou commentateur, dans la communauté du théâtre aucun d’eux n’a jamais pu parler ou su écrire des impressions impartiales car tout ce qu’ils entendent, voient ou font au théâtre se mêle inextricablement à ce qu’ils éprouvent. Chacun se croit le centre et l’objet principal de ces cérémonies, tandis qu’il n’est qu’occasion ou reflet, car les idées ou les sentiments offerts se mêlent aux idées et aux sentiments provoqués.
© Jacques Hiver / © Sempé
Chaque soir, à chaque saison et à chaque époque, à l’instant de la représentation, auteur, comédien, spectateur, critique ou commentateur forment une communauté ou un mélange nouveau, un être multiple où chacun d’eux est changé par cette alchimie des corps et des esprits qu’est une représentation.
Impressions des spectateurs, louanges, blâmes, verdicts rendus par les critiques, théories, comparaisons émises par les comédiens ou les commentateurs, leurs témoignages sont des souvenirs ou des réflexions qu’ils nous livrent et qui témoignent bien plus d’eux-mêmes que de ce qu’ils ont vu ou entendu. Chacun ici perd en voulant le faire la qualité de juger et de discerner. Le plus grave est qu’on ne saurait s’en empêcher, car le théâtre provoque et oblige en chacun le jugement et les propos.
Dans la communauté du théâtre, tout ce que disent ou croient penser auteur, comédien, spectateur, critique ou commentateur ne fait qu’obscurcir encore les règles du jeu pour celui qui les veut trouver. L’important est de savoir que la certitude au théâtre habite une région profonde où la pensée n’accède pas et qu’ici la certitude ne s’obtient que par l’action.
(extrait de Découverte de Sabbattini par Louis Jouvet et l’édition française de la pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre par Nicola Sabbattini)